Lundi 21 octobre 2024, 18 h, Maison des Associations, 3, place Guy Hersant, Toulouse
Conférence de M. Christian LOUBÈRE, professeur de philosophie.
Notre pensée, à l’heure du numérique et de l’intelligence artificielle ne semble jamais moins nous avoir appartenu qu’aujourd’hui. Du chat GPT, aux rivages encore brumeux de l’ordinateur quantique, force est de constater que ce n’est plus l’homme qui pense, ni se pose la question de la nature de sa propre pensée, ni moins encore de la manière dont il pense avec justesse ou fausseté. Maintenant la seule question utile à notre monde semble de savoir comment la machine pense et comment nous pensons avec elle. Nous désirons vivre en symbiose avec son système, lequel nous apparaît sous la forme d’une fragmentation d’informations orienté vers la rentabilité ou la jouissance, l’accumulation quantitative d’informations, comme un trou se remplit de son propre vide, ou de son manque, de sa perpétuelle indigence. Aussi, pensée et information semblent plus que jamais apparaître comme une seule et même chose à l’homme numérique, comme l’avait prédit et souhaité Deleuze. Par la puissance de cette virtualité omniprésente de l’image, du code, du transfert de données, nous ne savons plus que ces images et ces pixels, lesquels s’étirent en nous, aux ligaments de notre âme, là où elle est informée par sa mémoire, mais aussi à l’extérieur de nous, dans la mémoire de l’âme du monde, comme un rhizome ou une trufferie dantesque. Nous avons oublié qu’ils ne sont faits, ces fragments signifiants des toilages de codes numériques qui peuplent notre monde que d’ombres évanescentes, de sables et de deuils. Nous avons dénié que ces informations qui définissent et transforment en permanence notre pensée ne sont que des lignes de langage logiques invisibles, la danse d’un métalangage qui sait construire un écran d’illusions sur lesquels surfent notre œil et nos idées, nos passions et nos désirs, nos émotions les plus intimes, nos dogmes les plus sacrés. Plus que jamais, l’intuition poétique de Platon semble s’accorder aux sombres prophéties des contre- utopies modernes : nous habitons une caverne, cet espace informationnel devenu notre réalité, peuplé d’ombres, de signes fragmentés, lesquels nous apparaissent comme des êtres et des choses : ainsi l’enfant se détourne-t-il de l’oiseau dans le ciel pour scruter l’oiseau de pixel de sa tablette, l’adolescent détourne-t-il ses passions des premiers émois ressentis face aux corps juvéniles de ses camarades pour désirer un corps désincarné, codé sur son téléphone portable, informé par la pornologie de la caverne où dansent les ombres du fantasme…
Vers quel ciel des idées nous conduit cet Eros moderne ? Qui pense en nous et comment pensons-nous ? À l’époque où la pensée humaine, son logos semble s’échapper vers un abyme, où la machine informe la pensée, et où notre pensée est sommet de se mettre au service de la machine, une réinvention et une réinscription de la cybernétique, de sa logique programmatique du langage semble s’imposer. Ce détour abyssal par la caverne numérique du langage formel n’est-il pas là pour nous rappeler la nature fragmentaire de notre pensée elle-même, au sens le plus vivant du terme ? Laquelle construit ce monde en son unité, comme ornement de notre mémoire vivante. Fragment d’un dialogue perpétuel vers l’unité d’une transcendance éternelle, celle que suppose l’expérience de notre incarnation…