Conférences 2009-2010

Vendredi 16 octobre 2009

16 h 30 – Séance de communication – Manifestation organisée en partenariat avec l’Association des Professeurs de Philosophie de l’Enseignement Public – salle 35

Communication de Madame Simone GOYARD-FABRE, professeur émérite des Universités

Parler et penser

La corrélation du langage et de la philosophie est, depuis Platon, un thème de réflexion récurrent. Au XXe siècle, le linguistic turn a conféré à ce thème une importance dont la force philosophique ne doit pas être mésestimée puisque c’est à travers le langage que le monde tel qu’il est livre son sens. Il importe donc de savoir ce que parler veut dire et de mesurer la profondeur noétique de la conjonction entre « parler » et « penser ».

Les pionniers de la linguistique puis les maîtres de la philosophie analytique anglo-saxonne ont eu le mérite de vouloir s’engager sur cette voie. Tout près de nous, la philosophie de Francis Jacques va beaucoup plus loin en procédant à l’analyse de la structure sémantique des énoncés de l’activité langagière. L’architectonique relationnelle de l’interlocution constitue le paradigme de la communication. Il y a en cela une révolution intellectuelle qui, à partir des réquisits du dialogisme, conduit à réviser la notion de transcendantal et à dépasser la démarche kantienne par un post-criticisme dont l’interrogation radicale est le fer de lance nécessaire à une « transformation de la philosophie ».


Vendredi 20 novembre 2009

16 h 30 – Séance de communication – salle 35

Communication de Monsieur Bertrand SAINT-SERNIN, membre de l’Institut, recteur honoraire

L’action, laboratoire de la métaphysique, selon Maurice Blondel

On connaît le mot fameux de Socrate, dans la République (VII, 518 c), observant qu’il faut aller vers la vérité « de toute son âme (sun holè tè psuché) ». On note moins souvent que, dans la même phrase, se trouve aussi l’observation qu’un individu ne peut se tourner vers la lumière que « de tout son corps (sun holô tô sômati) ».

Maurice Blondel s’étant donné pour tâche d’explorer les conséquences spéculatives et pratiques de l’inséparabilité ultime de l’âme et du corps – qui résulte, dans le christianisme, de l’Incarnation -, voit dans l’action le laboratoire de la métaphysique. Dans La Pensée I, il cite la lettre de Descartes à Mersenne du 28 janvier 1641, dans laquelle celui-là précise : « Je prétends que nous avons des idées non seulement de tout ce qui est en notre Intellect, mais même de ce qui est en la Volonté. Car nous ne saurions rien vouloir sans savoir que nous le voulons, ni le savoir que par une idée ; mais je ne mets point que cette idée soit différente de l’action même ».

Pour Blondel, en revanche, l’action ne se réduit pas à l’idée de l’action. Son accomplissement dégage une clarté qui lui est propre (lucerna pedibus). C’est la lumière inhérente à l’exécution de l’action et à son cheminement, aux tâtonnements, aux égarements et à la destination des agents, que l’œuvre du philosophe restitue.

Il s’agit de discerner – c’est pour lui la décision philosophique majeure – si la « caverne » est fermée ou si elle possède une ouverture vers laquelle, par l’action, l’humanité peut se porter et y sentir – ou non – une présence (« aisthèsis parousias tinos« , dit Grégoire de Nysse).


Vendredi 4 décembre 2009

Jaurès : de la métaphysique à la lutte pour la justice

Manifestation organisée en partenariat avec l’Association des Professeurs de Philosophie de l’Enseignement Public – salle polyvalente

14 h 45 :

accueil et allocution d’ouverture

15 h 15 :

Blanc (J.), professeur honoraire de lycée, éditeur, docteur en philosophie, « Jean Jaurès théologien laïque »

16 h 15 :

Gabaude (J.-M.), professeur émérite des Universités, « Divine idéalisation et fondement métaphysique de la justice chez Jean Jaurès »

pause

17 h 45 :

Seff (P.), professeur honoraire de lettres et de philosophie, « L’engagement politique du philosophe Jean Jaurès »

18 h 45 :

Gabaude (J.-M.), « Synthèse et perspectives : une espérance malgré tout ? »


Vendredi 22 janvier 2010

16 h 30 – Séance de communication – salle 35

Communication de Monsieur André STANGUENNEC, Professeur émérite à l’Université de Nantes, Président de la Société Nantaise de Philosophie

Le monde : de la politique à la nature

Cette conférence est la reprise, étoffée et assortie de nouveaux arguments et de nouvelles références, de l’articulation entre deux Chapitres de mon livre La dialectique réflexive, visant une transition entre la philosophie de l’histoire (à visée ou finalité cosmopolitique) et la philosophie de la nature (à visée ou finalité cosmologique). Cette articulation s’effectue en un mouvement régressif de la réflexion, mouvement régressif allant du monde cosmopolitique comme finalité dernière de la raison pratique juridique, vers l’horizon d’un « sens commun » à la raison cosmopolitique et à la rationalité des sciences de la nature : c’est cet horizon commun ou « ordre » rationnel et total du monde, historico-naturel, que nous nommons le monde cosmologique. Il en découle la construction en deux parties de notre argumentation : une première partie qui thématise la visée cosmopolitique de la raison juridico-politique et une seconde partie qui thématise l’inscription  du monde cosmopolitique dans le monde cosmologique, au sein duquel est cherché un passage (analogue en quelque sorte à l’Übergang (passage que Kant cherchait dans sa troisième Critique ) du monde de la nature au monde de la liberté en termes de réflexion téléologique.

Ajoutons que la réflexion cosmopolitique se fait en suspendant les thèses de la théologie hégélienne de l’histoire et qu’elle est plutôt « kantienne » en un sens que nous expliquerons ; tandis que la remontée vers l’horizon cosmologique commun à la liberté pratique et à la nature de la deuxième Partie se fait, elle, dans le suspens de la théologie morale kantienne, cette théologie morale dont Kant fait le principe premier de la réflexion théologique sur les fins de la nature dans le § 86 de la CFJ, intitulé précisément « la théologie morale ». C’est donc dans le suspens des théologies, théologie hégélienne de l’histoire d’abord, théologie morale comme principe de la réflexion sur la connaissance de la nature, ensuite, que nous tâchons de construire cette articulation qui doit, par ailleurs, beaucoup aux apports des deux philosophes allemands.


Mercredi 17 mars 2010

[Cette séance a lieu exceptionnellement un mercredi]

16 h 30 – Séance de communication – salle 35

Communication de Madame Monique Lise COHEN, Docteur ès lettres, écrivain

Introduction à l’œuvre d’Henri Meschonnic

Henri Meschonnic, à travers son œuvre immense, nous enseigne que le dualisme du signe (signifiant/signifié) qui reprend le dualisme métaphysique (sensible/intelligible) est à la source de tout pouvoir dictatorial. Dans l’optique dualiste, les livres sont lus à travers une grille conceptuelle qui efface le texte. Par exemple la lecture de la Bible par Philon d’Alexandrie est une lecture dans le dualisme. Là où le récit biblique parle d’Abraham, Philon invite à entendre « forme », et là où il est question de Sarah, Philon parle de « matière ». Le récit s’efface, il ne reste qu’un squelette conceptuel sur lequel des pouvoirs politiques marqueront leur empreinte et leur dictat. Si vous vous aventurez à lire librement la Bible, alors le pouvoir inquisitorial religieux lié à l’Etat vous fera passer en procès, et si vous persistez dans votre lecture libre, vous serez traîné devant le bourreau des corps. L’histoire des traductions de la Bible a marqué l’histoire du pouvoir en Occident. Or la Bible, dans sa graphie hébraïque originelle, n’est pas écrite dans cette conceptualité. Il y a un rythme de la lecture, une « signifiance », qui est comme « Un coup de Bible dans la philosophie » (Ed. Bayard, 2004). Quel est ce rythme, cette signifiance, qui n’est pas le rythme grec (alternance de temps forts et de temps faibles) ? En quoi la lecture biblique est-elle prophétique, c’est-à-dire appelant à l’écriture de nouveaux textes ? Ou à une « infinitisation du sens » ? Ces questions ouvrent une interrogation constante dans l’œuvre de Meschonnic, sur la littérature, sur la critique de la linguistique et de la philosophie, sur la traduction, et sur sa propre écriture poétique. Meschonnic parle de la radicalité du sujet, celui qu’il nomme « sujet du poème ». L’écriture poétique qu’il décrit comme une écriture ordinaire, quotidienne, est de la dimension de la parole prophétique : « une praxis aveugle ». Cet engagement éthique se fait dans l’écriture. Contre le sacré, contre la religion, pour une pensée inédite du divin (ni philosophique, ni théologique, ni religieuse). Un athéisme, à la manière de Spinoza, c’est-à-dire sans la mort de Dieu. Tout le chemin est celui d’une désacralisation qu’il développe dans L’utopie du Juif et dans Un coup de Bible dans la philosophie. En Exode 3,14, lorsque Moïse demande à Dieu son nom, Il lui répond par un verbe : « éhié– acher éhié », c’est-à-dire : « Je serai– que je serai ». Le verbe est ici à l’inaccompli et non pas au présent. Ce n’est pas, comme a traduit saint Jérôme, « ego sum qui sum », « Je suis qui je suis », ou « ce que je suis », ou encore dans d’autres traductions « l’être suprême ». Dieu n’est ni philosophe ni théologien. Il ne fait pas une ontologie ni une onto-théologie. Meschonnic insiste sur le futur parce que c’est une promesse. Ceci dans la suite du verset 12. Et il dit que l’inaccompli est l’aspect de ce qui n’a pas de fin, dans le temps. C’est une promesse indéfinie. Meschonnic écrit que c’est le divin, comme puissance créatrice de vie séparée du sacré qui ouvre l’infini de l’histoire, infiniment : « C’est le divin qui fait l’historicisation radicale de l’histoire, et du sens. De l’histoire comme sens, du sens comme histoire. » Citant Yeshayahou Leibowitz, un grand penseur juif contemporain, Meschonnic dit qu’il n’y a pas de messianisme. Puisque le messianisme impliquerait la fin de l’histoire. Cela est rendu possible, pensable, en Exode 3,14. Il est donc question d’historicisation du divin. La première historicisation est la réponse de Dieu sous forme d’un verbe : « Je serai ». La seconde historicisation se trouve dans la deuxième partie de la réponse : « que je serai », séparée du début par un accent disjonctif. Cela indique la promesse d’une venue à venir. L’infinitisation du sens. La troisième historicisation du divin aurait lieu dans L’Ethique de Spinoza, là où le divin n’est plus compris avec la religion, là où l’athéisme n’est plus compris avec la mort de Dieu. Il écrit : « Une intégration maximale de l’infini à la pensée. En même temps que de l’éthique à la pensée, et que l’intégration maximale de l’affect et du concept l’un à l’autre. Cette double intégration réciproque fait la poétique du divin, et la poétique de l’affect. » La quatrième historicisation qu’il cite toujours dans L’utopie du Juif  est la sienne : « Celle que je fais ici par la reconnaissance des trois premières et leur enchaînement. Parce qu’elle se fait dans le rythme comme organisation généralisée de la pensée, dans la prosodie comme pensée et la pensée comme prosodie, dans l’invention d’une subjectivation étendue à tout un système de discours qui fait qu’elle est son historicité radicale. C’est-à-dire l’expérience de pensée qui consiste à penser le maximum du corps dans le langage comme maximum de la pensée. Le continu de ce qu’un corps fait au langage. »


Vendredi 23 avril 2010

16 h 30 – Séance de communication – salle 35

Communication de Madame Flora BASTIANI, Docteur en philosophie

Levinas et le retournement éthique

La philosophie d’Emmanuel Levinas a pour fondement la possibilité éthique du sujet. Pourtant, le constat qui saisit Levinas dès ses premiers écrits est celui de l’emprisonnement de ce même sujet dans un mouvement égocentré et dans sa jouissance du monde. L’élaboration de sa pensée de l’éthique conduit Levinas à cet étrange retournement de la situation : un moi qui se satisfait de ne se préoccuper que de lui et de sa persévérance dans l’être, se trouve transformé en un agent éthique perpétuellement tendu vers l’autre, dans l’insatisfaction constante de ne pouvoir lui rendre ce qu’il lui doit. Le paradoxe du commencement de l’éthique est néanmoins explicité par Levinas comme condition de possibilité de l’éthique.


Vendredi 21 mai 2010

16 h 30 – Séance de communication – salle 35

Communication de Monsieur Yannick SOULADIE, Docteur en philosophie, Chargé de cours à l’Université de Toulouse le Mirail.

L’inversion nietzschéenne des valeurs

Cet exposé s’attachera à prendre à contre-pied certaines idées reçues sur la pensée nietzschéenne, notamment celle selon laquelle sa philosophie serait « inachevée ». En nous penchant sur ses derniers écrits, notamment ses dernières lettres, dont certaines sont encore inédites en français, nous tâcherons de montrer comment Nietzsche a, en 1888, selon ses propres termes « accompli » son œuvre en écrivant L’inversion de toutes les valeurs autrement dit L’Antéchrist. Loin d’être le fruit d’un mouvement d’humeur ou une prémisse de la folie, comme on a pu le prétendre, L’Antéchrist constitue le véritable acte unificateur de sa philosophie. « Maintenant, j’ai la conviction absolue que tout est réussi, depuis le commencement – tout est unité et veut l’unité. » peut-il ainsi écrire à un ami en décembre 1888, après avoir justement achevé cet ouvrage et Ecce Homo. Nous nous proposons de montrer concrètement comment se réalise cette unité, notamment comment le concept de volonté de puissance, l’opposition généalogique entre deux morales et le thème de l’incorporation parviennent à pleinement s’exprimer indépendamment de toute velléité systématique. « Peut-être découvrira-t-on encore derrière ce livre, le système auquel je me suis soustrait… », écrivait Nietzsche à propos d’Ainsi parlait Zarathoustra. Nous allons tâcher de déterminer en quelle mesure cette phrase pourrait également s’appliquer à L’Antichrist et Ecce Homo.


Vendredi 18 juin 2010

16 h 30 – Séance de communication – salle 35

Communication de MM. Jean GRANIER, Professeur à l’Université de Rouen et Vincent BRESSON, Docteur en philosohie

Introduction à la pensée de Jean GRANIER Jean Granier propose de fonder la Philosophie comme Intégralisme, en méditant la position transcendantale de l’être dans le discours philosophique et le statut du moi dans sa composition, avec le désir et les valeurs. A rebours de la tentation de faire de l’être l’objet prioritaire de la philosophie, Jean Granier met en évidence que l’être n’est que le code qui règle le discours du monde à partir de ce qu’il appelle la thésis du référentiel compris comme l’Intégral ; d’autre part, il révèle le véritable auteur du discours philosophique, le moi, si bien que c’est l’empreinte égotiste qui confère aux concepts philosophiques leur originalité comme concepts prospectifs, valoriels et pathétiques. Inspiré par Nietzsche mais en rupture avec son immanentisme, Jean Granier invite à une compréhension de la philosophie comme interprétation égotiste du monde – mais aussi de son au-delà, le transréel, à partir d’une anthropologie philosophique qui met en avant l’exigence ultime du moi, laquelle résume la totalité de ses innombrables désirs et coïncide avec ce que recherche la Métaphysique.