Vendredi 27 octobre 2023, 19 h, Maison des Associations, 3, place Guy Hersant, Toulouse
Conférence de M. Alexis CARTONNET, professeur de philosophie.
Michel Foucault passe à juste titre pour l’avocat, du moins l’historien, des marges de nos sociétés européennes : folie mentale, délinquance politique, perversions sexuelles constituent assurément des « expériences » collectives faisant évidemment « problème » par rapport à une exigence commune de rationalité, de civisme et de décence. Qui plus est, pour analyser n’importe laquelle de ces « expériences », Foucault s’est muni tout au long de sa carrière de trois axes de réflexion : le savoir, le pouvoir et le sujet. S’il apparaît que chacun des grands livres de Foucault était l’occasion de dégager un axe par expérience (le savoir pour la folie, le pouvoir pour la prison et le sujet pour la sexualité), ces trois axes devraient – ou auraient dû – se combiner systématiquement pour chacune de ces expériences, même si Foucault ne s’est senti en pleine possession de son système que deux années avant sa mort. Voilà sur quoi repose « l’image de la pensée » de Michel Foucault. Or, ce que l’on sait moins ou souligne moins souvent, c’est que Foucault s’est lancé dans un chantier parallèle, sinon concurrent, à cette histoire des marges, et ceci d’une manière aussi souterraine qu’obstinée : dès sa nomination au Collège de France, Foucault entend se lancer dans « une histoire politique de la vérité ». A côté des expériences acceptées ou interdites (délinquance ou sexualité), il y a surtout en Occident des discours acceptés ou refusés (comme l’erreur, le mensonge, l’illusion, le faux témoignage). Foucault en dessine d’ailleurs tout le programme dès ses trois premières années au Collège de France, bien avant la publication de Surveiller et punir : ainsi les cours Leçons sur la volonté de savoir, Théorie et institutions pénales et La société punitive sont censés développer une « histoire politique du vrai ». Mieux : à partir de ces années 70, Foucault va multiplier les coups de sonde non moins que les néologismes : « régimes de vérité », « histoire de la véridiction », « dire-vrai », « parrhèsia », et même « aléthurgie » dans un cours consacré au christianisme primitif. Ce ‘‘retour à la vérité’’ est tellement inattendu qu’il suscite l’incompréhension de ses proches amis comme Gilles Deleuze. D’où cet ensemble de questions : en quoi l’obsession pour la catégorie de vérité entre-elle directement en concurrence avec la défense acharnée et bien connue des marges ? Quel type de vérité Foucault prétend-il vraiment mettre au jour si ladite vérité ne se réduit pas à la connaissance scientifique dont s’occupe déjà l’histoire des sciences ou l’épistémologie ? Et surtout, en quoi l’accent mis sur la vérité bouleverse-t-il la structure même et le centre de gravité du système de pensée de Michel Foucault ?