À l’horizon de l’image, l’union avec le Principe. Rationalisme et imagination créatrice : d’Averroès aux néoplatoniciens de Perse.

Vendredi 12 décembre 2025, Maison des Associations, 3, place Guy Hersant, Toulouse.

18 h 00 : Conférence de Mme Éloïse ALLAYRANGUE, professeur de philosophie.

L’Occident n’aurait-il pas fait, à tort, d’Averroès un rationaliste ?

            Cette question, dont le caractère provocant peut amuser, est née d’une intuition, que ce travail propose d’examiner. Notre intuition est la suivante : il est évident que notre Cordouan se veut fidèle à Aristote : « l’âme ne pense jamais sans image » (De Anima, III, 7, 431a 16-17), puisque c’est l’image qui fait le lien entre la sensation et la raison. Aristote l’affirme : l’image occupe nécessairement une place dans le passage du singulier à l’universel, du sensible à l’intelligible. Mais pour Averroès, dans son Grand Commentaire, l’image devient une condition d’accès au Principe : il la positionne au cœur de l’opération noétique dont le résultat est l’identification avec le Principe, et hausse l’image au rang de second sujet de la pensée. Elle devient même un sujet moteur, conçue comme support de la jonction avec l’intellect agent. Ainsi, lorsque la représentation contenue dans notre imagination s’accomplit, que l’image est dépouillée du manteau de sa singularité, l’intellect agent s’unit à l’individu et illumine ses images singulières pour en abstraire le caractère universel. Notre intellect s’identifie alors, pour un instant, au Principe.

            Or, c’est en ce point précis que nous nous demandons si il s’agit bien, dans la doctrine rushdienne, de rationalisme. En regard de la dignité accordée à l’image, peut-on vraiment affirmer, à l’aune de la finalité qu’est l’union avec le Principe, que c’est la raison qui est motrice ? Quand Averroès établit un lien entre image et intellect agent qui fait de l’accès au principe un éternel travail de l’imagination, porté par le désir de connaissance du philosophe, ne fonde-t-il pas une érotique de l’image, de la représentation imaginée, qu’il faut désirer former, parfaire, puis abandonner pour se réaliser pleinement ? Et comment ne pas penser ici à l’imagination créatrice des néoplatoniciens de Perse, maîtres soufis pour la plupart, qui donnent à l’image et au désir une fonction et une dignité similaire ? Ne peut-on pas trouver chez Averroès des traces de ce qu’Henry Corbin nommera le monde imaginal, lieu de l’union entre l’individu, dans la singularité de ses images et de son désir, et du Principe ? À ces questions, nous essaierons, avec beaucoup de prudence, d’apporter ici quelques réponses.